Chaque fois que je viens sur la hauteur du Cap Blanc-Nez, par temps clair et dégagé, je suis saisi du même frisson devant létendue des vagues qui cavalent jusquau mur de craie blanche au loin. Vertige du Temps ! Ici se chevauchent et sintensifient toutes les coupures, mon bref segment de vie, les six millénaires dirruption marine qui ont fait de cette vallée nommée Doggerland par les géologues un fossé large de trente-cinq kilomètres, la fracture entre langues anglo-saxonnes, celtes et romanes, linterminable suite de liens et scissions dans lHistoire de lOccident. Debout à la verticale des craies fragmentée par lérosion de leau cest le bruit palpable du Temps lui-même que jentends, corps décume et de vents. Nest-il pas nouveau que notre Mémoire sapprofondisse aux fosses de larchéologie (St. Acheul, Chauvet, Lascaux), saccroisse deffondrements cosmiques (Storregas, Tsunamis) ? Et si cétait à lhorloge des irruptions marines que nous allions devoir calculer notre âge désormais ? Ici, à Blanc-Nez, promontoire miniature, je recommence daller cueillir la fleur ancienne «Sagesse des sommets». Tailler de minimes marches darrêt dans le Temps requiert le sens des pentes, de létalement des plans. Exercices de souffle suspendu, aujourdhui, au-dessus du chenal, du Channel!
J. D.
Jacques Darras compose depuis 1988 un poème en huit chants sur une petite rivière côtière du Ponthieu et du Marquenterre, la Maye il livre ici le premier texte du chant VIII intitulé Le Chur maritime de la Maye. Il a par ailleurs traduit de langlais Walt Whitman, Samuel Taylor Coleridge, Ezra Pound, William Carlos Williams, Allen Ginsberg, Malcolm Lowry, etc.